L’as de pique est toujours l’atout

Récit de voyage au Bénin  – quelques fragments – Peter Cristiaensen

Pourquoi mon Dieu, partir en voyage vers un pays que peu de gens connaissent? Il y a assez de raisons. Pour donner à nos filles adolescentes, avant qu’elles ne s’envolent, une image du monde hors de l’Europe. Pour nous faire nous-mêmes une idée de l’Afrique. Pour apprendre et essayer de comprendre. Pour être solidaire avec une organisation qui essaie de faire connaître les questions environnementales du Bénin.

Les entrepreneurs

Nous avons voyagé avec Eco-Bénin. Cette ONG locale, créée en 1999 propose une offre fair-trade dans le secteur du tourisme. De cette manière, la communauté locale y gagne quelque chose. Ils ont fondé quelques villages-gîtes et des éco-lodges, formé les villageois aux responsabilités de l’accueil et de guide, et appris aux femmes comment accommoder les plats locaux aux goûts des occidentaux (par exemple, en préparant la sauce tomates fraîche et moins piquante). Du touriste, Eco-Bénin attend un esprit ouvert, et en retour, les villageois fournissent un programme intéressant sur le thème de la découverte de la culture locale.

Habib

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Le premier jour, nous avons reçu le plat principal : au départ de Possotomé, Habib et Bruno nous ont emmenés en bateau de pêche sur le lac Ahémé. Bruno a l’allure de Jérôme et on comprend vite pourquoi.

Les pêcheurs d’ici ne peuvent pas se permettre de bateau à moteur, et ils doivent donc pousser leurs embarcations avec de longues perches de bambou qu’ils appuient sur le fond du lac peu profond. Alors que nous nous émerveillions d’une telle force musculaire, Habib se révéla rapidement être un maître conteur. Pas seulement d’anciens récits- au sujet du dernier hippopotame qui n’est plus considéré depuis longtemps comme une divinité veillant sur les pêcheurs, mais aussi sur les différentes techniques de pêche. Ainsi, les branches de palme plantées dans le fond. servent de nourriture supplémentaire dans l’eau et attirent les poissons qui sont attirés dans des filets et des pièges. Parfois aussi de grands filets sont lancés dans un geste gracieux. Patiemment, Habib nous montre la technique, et nous faisons ensuite quelques essais.

Plusieurs jours plus tard, Habib nous attendait à nouveau pour faire, cette fois, une promenade commentée sur les propriétés médicinales des plantes et des arbres. « Pour nous, cette connaissance est beaucoup plus qu’une tradition. Elle est vitale, parce que les médicaments occidentaux sont particulièrement chers et ne sont souvent pas adaptés à la conservation sous les températures africaines ».Muzak

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Avloh Plage est un petit village d’environ 600 pêcheurs, coincé entre l’Océan Atlantique et la lagune de Monorivier. Sur les plages de sable poussent des cocotiers. Les villageois survivent de la pêche et de la fibre qu’ils sèchent pour faire des pots et des paniers. Depuis peu, le tourisme est une nouvelle source de revenus. A seulement 100m de l’océan, sur la plage, Eco-Bénin a construit un gîte sans électricité, mais pourvu du murmure du vent marin et du bruit des vagues qui viennent rouler. Les courants sous-marins sont trop forts pour nager, mais jouer dans les vagues est une super alternative pour nos rats d’eau.

Le Vaudou est omniprésent ici. Pendant quatre jours, les pêcheurs peuvent aller sur la mer, le cinquième jour, ils restent à la maison, par respect pour sa force divine. Lorsque nous nous promenons sur la côte avec Pierre vers la Bouche du Roy, l’endroit où le Mono se jette dans l’océan, nous lui montrons un bateau au large. «C’est bien le cinquième jour, nous dit Pierre, mais ce ne sont pas des pêcheurs, ce sont des contrebandiers. Ils sont allés au Nigéria remplir leurs bateaux de bidons d’essence et sont en route pour le Togo.»

Pollueurs

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On trouve des stations d’essence presque partout au Bénin, mais elles ont une couleur locale très spéciale: de petits espaces avec des bouteilles en plastique ou en verre ou des bocaux de toutes formes. Le contenu est toujours le même : du pétrole dérobé au Nigéria, la force motrice derrière l’homme (et l’économie béninoise). Pour les jeunes hommes verts que nous sommes, c’est dur à avaler. Les gaz d’échappement ici sont littéralement noirs et métaphoriquement, il y a des déchets de plastique qui sont rejetés partout. Les Béninois sont-ils des pollueurs totalement insouciants du milieu ? Peut-être que le sophisme se trouve dans la question même ? Finalement, notre empreinte écologique – entre autres, le vol pour venir jusqu’ici- est nettement plus lourde que celle du Béninois moyen.

Mais il est vrai que beaucoup de Béninois partent vers les villes, alors que la collecte des immondices n’est pas encore en place. Les organisations comme Eco-Bénin travaillent à la conscientisation au sujet des petits et grands aspects de la problématique du milieu. Tous les gîtes ont des toilettes à composte, des poubelles, des avertissement pour économiser l’eau et des posters reprenant les actions touchant à la biodiversité dans les environs.

A Avloh, nous nous promenons dans une zone où, pendant la période de reproduction, les villageois récoltent les oeufs des tortues de mer pour les préserver.

Ils ne faisaient jamais cela auparavant. Près de Kpetou, un village proche de Possotomé, nous marchons à pas d’indien en chuchotant au travers d’une petite forêt à la recherche de quelque 25 singes Mona qui se trouveraient en haut dans les arbres. Leur habitat est encore grand comme un mouchoir de poche, mais Eco-Bénin a pris contact avec les paysans pour qu’ils ne tuent plus de singes, même si certains leur volent parfois quelques épis de maïs. Que des touristes viennent de temps en temps voir leurs singes aide bien sûr !

Dans la boue

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Le fer de lance dans la région sont les actions carbones, les actions au sujet du climat et du CO². Dans le Nord, ils se battent contre la progression du désert.

Eco-Bénin promeut auprès de la population locale des fours améliorés qui demandent nettement moins de bois, ce qui préserve les arbres et fait gagner beaucoup de temps chaque jour aux femmes. Dans le Sud, on rétablit la mangrove dans les petits et grands lacs ainsi que dans les étangs. Chaque touriste qui fait un circuit avec Eco-Bénin a une action carbone à son programme, par solidarité et par compensation de l’impact de son voyage aérien.

Nous avons donc nous aussi mis nos pieds dans la boue et avons planté avec les villageois de Kpetou 200 boutures d’arbres dans une série d’étangs de pêche près de leur village. Chaque hectare de mangrove peut absorber 200 tonnes de CO² et entre les racines des arbres adultes, les populations de poissons trouvent un endroit sûr pour procréer.

Ajustements

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Par-dessus tout, Jules, notre guide Eco-Béninois, nous apparaît comme l’interlocuteur idéal pour nous apprendre à regarder la problématique du climat du point de vue d’un Africain. Ici, pour les paysans et les pêcheurs, le réchauffement n’est pas une vision sombre mais bien une réalité quotidienne. Ici, la discussion ne porte pas tellement sur la réduction du CO² mais surtout sur la manière dont le pays peut s’adapter aux changements de saison et aux bouffonneries imprévisibles de la météo. Parce qu’ici, le réchauffement sera plus durement ressenti dans les prochaines décennies.

Pour le Bénin et l’Afrique, la part la plus importante des accords climatiques de Paris n’est pas la mitigation (réduction), mais bien le volet adaptation. Et dans quelle mesure les pollueurs historiques, nous donc, prendront leurs responsabilités dans ce domaine (lisez : acceptent de payer plus).

La route des esclaves

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A la toute fin de notre voyage, nous sommes allés visiter Ouidah, une ville sur la côte Sud. Le vieux fort portugais abrite un musée sur la traite des esclaves mais la « Route des esclaves » est beaucoup plus impressionnante. Le trajet de la route court de l’ancien marché aux esclaves au centre de la ville jusqu’à la côte, là où les bateaux européens jetaient l’ancre.

Tout le long du chemin, il y a des illustrations et des monuments comme l’ « arbre de l’oubli », autour duquel les esclaves masculins devaient tourner neuf fois et les femmes sept fois, pour bannir de leur mémoire tous les souvenirs de leur culture et de leur passé. A quelque distance, se trouve l’ « arbre du retour », autour duquel chacun devait tourner trois fois pour que pour que, après sa mort, son âme puisse revenir au pays de ses ancêtres. Sur la plage, se trouve la « Porte du Non-Retour ». Incroyablement lugubre, difficile de trouver d’autres mots pour cette page noire de l’histoire du Bénin. Et la nôtre, à nous, Européens.

Saviez-vous que…

  • Nous n’avons rencontré aucun Belge en 3 semaines? Ou plutôt si: Eden Hazard, sur le Tshirt d’un jeune footballeur.
  • Les deux parcs nationaux dans le Nord du Bénin abritent des lions, des éléphants, des girafes, des hippopotames et beaucoup d’antilopes?
  • Au Benin, aux Whist l’as de pique est toujours l’atout

Peter Cristiaensen